Pourquoi l’injonction au bonheur ne fonctionne pas?
Publié le 24/08/2022, mis à jour le 05/11/2024
Connaissance de soi
Pourquoi l’injonction au bonheur ne fonctionne pas?
4 min de lecture
L’injonction au bonheur, principale critique faite au développement personnel
Il est facile de voir les failles du développement personnel, la principale étant cette espèce d’injonction au bonheur permanente.
Des injonctions qui n’épargnent aucun domaine de vie, puisqu’elles concernent aussi bien la parentalité que les relations interpersonnelles et professionnelles.
Pourtant, et même motivée par un désir sincère d’aider son interlocuteur, l’injonction au bonheur est souvent maladroite, et presque toujours contre-productive.
Dans un ouvrage «Laisser vivre ses émotions» (Odile Jacob), Stéphanie Hahusseau, médecin psychiatre et psychothérapeute, explique l’absurdité des injonctions à travers deux thèmes chers au développement personnel : la bienveillance et la confiance en soi.
Pourquoi la bienveillance ne se commande pas?
Stéphanie Hahusseau définit la bienveillance comme étant «une disposition favorable envers autrui, qui se manifeste moins par un ton mièvre que par une écoute active».
La bienveillance est promulguée pour toutes les problématiques (management, éducation, couple ou autre). Or, on ne peut se forcer à ressentir une émotion. Pas quand le contexte fait défaut.
C’est même tout le contraire. Plus on se force à ressentir de la bienveillance, plus on a envie d’exploser avant de se sentir accablé, par honte de ne pas avoir été bienveillant.
Vouloir commander ses émotions n’apporte que du stress, terreau des émotions négatives. Celles justement ce que le « chercheur en bienveillance » entend fuir.
Concernant la bienveillance, il y a deux éléments à retenir:
Plus elle est déclarée, plus elle est suspecte. Comme en amour, le verbiage n’est que du vent par rapport à la consistance du concret (gestes, comportements et actes).
S’il est difficile de ressentir de la bienveillance dans nos rapports avec autrui, c’est peut-être parce que nous en manquons à notre égard. La façon dont nous traitons les autres n’est que le miroir de notre rapport à nous-mêmes.
Ainsi, si la bienveillance demande un effort, c’est parce qu’on est pétri de sentiments négatifs (sentiments = émotions, qui à force d’être ignorées, se sont implantées).
Or, on ne peut pas vraiment ressentir des émotions positives sans s’être occupé des émotions négatives qui nous habitent.
De la même façon qu’on ne peut faire pousser de belles fleurs dans une parcelle pleine de mauvaises herbes, comme on ne peut pas avoir un organisme optimal avant de l’avoir nettoyé de ses excès.
Si, instinctivement, il est facile de discerner la vraie de la fausse bienveillance, il en va tout autrement de la confiance en soi.
Qu’est-ce qui relève de la vraie et de la fausse confiance en soi?
Et si l’injonction à la confiance et l’estime de soi était un non-sujet?
Effectivement, les méta-analyses sur l’estime de soi démontrent que quel que soit son sexe, statut social ou nationalité, l’évolution de l’estime de soi suit globalement la même courbe. Elle est haute durant l’enfance, diminue durant l’adolescence, reprend de l’ampleur à l’âge adulte et décline avec le vieillissement.
Quant à la confiance en soi, il en existe deux sortes : l’explicite, la posture que l’on adopte, et l’implicite, celle que l’on ressent réellement. Or, les deux ne convergent pas toujours ensemble. Il est même relativement courant que les fanfarons soient rongés par le doute.
Celle qui nous intéresse ici est la confiance en soi implicite. Elle repose essentiellement sur l’agentivité (la capacité à se fixer des buts et à les atteindre) et, surtout, la confrontation consciente au doute.
Une confrontation contre-intuitive car nous aimons le confort des paradigmes visibles et limités. Pourtant, le doute est peut-être la base du bonheur et de l’intelligence.
C’est le couloir royal vers l’humilité, la bonté, l’ouverture d’esprit. En clair, le doute c’est l’enrichissement, et par la flexibilité psychologique qu’il apporte, le signe d’une bonne santé mentale.
Le vrai défi de la confiance en soi est donc paradoxal: il demande que l’on trouve du confort dans l’inconfort. De l’aisance dans le malaise. De la confiance dans sa capacité à douter.
Cette disposition de l’esprit est le propre des philosophes comme l’entendait Maurice Merleau-Ponty: «Ce qui fait le philosophe, c'est le mouvement qui reconduit sans cesse du savoir à l'ignorance, de l'ignorance au savoir, et une sorte de repos dans ce mouvement.»
Le troisième ingrédient nécessaire à la construction d’une confiance en soi non-feinte est la conscience de soi. Autrement dit, la conscience du remue-ménage émotionnel qui nous habite.
Comment laisser vivre ses émotions et pourquoi cela rend inefficace l'injonction au bonheur?
Contrairement aux idées reçues, le bonheur ne dépend pas exclusivement des émotions positives.
Comme l’explique Stéphanie Hahusseau: « La pathologie ne devrait pas se définir par rapport à la présence d'émotions négatives, mais plutôt par rapport à leur méconnaissance ou leur évitement. La « normalité » du point de vue des émotions, c'est de les ressentir toutes. Plusieurs fois par jour. […] Si la santé mentale était unanimement définie […] par un équilibre quantitatif entre émotions négatives et positives, tout le monde irait mieux. »
Les émotions négatives sont donc utiles, à défaut d’être agréables. Elles doivent être vécues comme des enseignements.
D’autant plus (et c’est un nouveau paradoxe) qu’en cherchant à les fuir ou les nier, le stress chronique s’installe et l’émotion demeure (jusqu’à devenir sentiment).
Pour rappel, laisser vivre ses émotions implique de:
Apprendre à les ressentir dans son corps.
La difficulté de l’exercice étant le début, où ressentir les émotions va faire augmenter le vécu douloureux. Quand on est habitué à étouffer ses émotions négatives, l’exercice est particulièrement pénible.
Pourtant, le corps est bien fait. Une émotion douloureuse ne nous tuera pas, mais déclenchera au pire des larmes, un mécanisme naturel du système parasympathique qui permet au corps de relâcher la pression et de diminuer drastiquement les sensations.
Pour ceux qui sont vraiment déconnectés de leurs émotions, écrire ce que l'on ressent quotidiennement est un puissant exercice, beaucoup plus que la confidence verbale.
Loin d’être une perte de temps, écrire est une reconnexion vers soi, qui aboutit à une forme de paix mentale, indispensable à ceux qui veulent vraiment se sentir bien dans leur tête sans qu’ils aient besoin d’invitation.
Source: Stéphanie Hahusseau, Laisser vivre ses émotions, Odile Jacob, 2022
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